Martial est tm poete réaliste qui a «le gout de l'homme» et
pratique la franchise du verbe. II dénonce les dérives de la société et, ravalé
au rang de client, ii se sent méprisé et se range au nombre des pauvres.
Mais qu'est-ce que la pauvreté ? Le seul cri tere d'appréciation sociale et
morale est l'argent. Toutefois, la société n'est pas seulement divisée entre
ceux qui en ont et ceux qui en manquent. L' étude rapide des besoins et des
revenus fait apparaitre qu'il existe une troisieme catégorie, celle des exclus
qui, à l'instar du Nestor de Martial, sont «Ies damnés de la terre». Les autres
vivent dans deux mondes paralleles et ne se croisent guere qu'en deux
moments clés: la salutatio et la cena dont ii faut examiner les codes sociaux.
La mentalité romaine a changé depuis la fin de la République; la
définition du cu/tus également, en conséquence. La culture est affaire de
fortune. La société s' organise comme un spectacle dans lequel les riches
sont au centre de la représentation, ce qui implique pour eux une discipline
particuliere. Le cu/tus nécessite une parfaite ma'itrise de soi, du corps et dll
langage (urbanitas) . II est d'abord, à Rome, affaire de sens, de sensualité.
Mais de toutes les expressions sensuelles, c'est l'oralité qui définit le mieux
la culture romaine. Celle-ci se manifeste à son plus haut niveau lors de deux
moments majeurs de la vie du riche: la cena et la recitatio. L'un et l'autre
symbolisent la double opération d'ingestion-digestion qui définit la culture
et procure lln plaisir quasi érotique à l'homme cultivé.
Le peuple n'est pas pour autant banni de cette jouissance orale: la
dicncitas est une caractéristique de la mentalité romaine, et un sport national.
Le sarcasme est un ludibrium, et l'obscénité une forme de viol verbal dont le
but consiste à contraindre l'autre au silence, donc à le dépouiller de son
pouvoir de citoyen. La parole est l'arme du uir, et sa force toute symbolique. Toutefois
cette parole tonitruante masque la vraie pudor, celle des sentiments et des
angoisses. Carpe diem, dit aussi Martial, laissant sourdre sa peur de la mort.
Mais cette pudor reste du domaine du non-dit, laissant juste affleurer une
fragilité trop humaine.