Les travaux sur l’argumentation identifient un certain nombre de
procédés qui ont pour caractéristique de jouer sur la relation entre “acte” et “personne”.
Au sein de ces procédés, on peut isoler un ensemble relativement cohérent, désigné
parfois comme des argumentations ad hominem, ou ad personam: il s’agit en tout cas
de procédés réfutatifs visant à discréditer une thèse en la mettant en relation avec
certaines caractéristiques de la personne ou du groupe qui la soutient. On s’intéressera
ici aux critiques auxquelles les arguments relevant de cette catégorie donnent lieu dans
le cadre d’interactions argumentatives polémiques – et en particulier, on s’arrêtera sur
l’accusation de “procès d’intention”. L’expression “procès d’intention” est propre au
répertoire critique spontané de l’argumentation, et n’apparaît pas dans les nomenclatures
savantes identifiant classiquement les paralogismes. Pour les approches savantes, il
s’agirait d’une sous-catégorie de l’argument ad hominem circonstanciel, qui consiste
à rejeter une thèse ou une ligne d’action par le dévoilement des intentions mauvaises
qui présideraient à sa défense. – L’argumentation ainsi désignée comme “procès
d’intention” est centrale dans bien des débats polémiques, le calcul des intentions qui
ont présidé à la réalisation d’un acte ou à la profération d’une parole étant un ressort
majeur d’interprétation du monde social par les acteurs. Lorsqu’on fait dépendre
l’acceptation d’une thèse ou d’une ligne d’action de l’appréciation des intentions qui
président à sa défense, on hiérarchise la morale de l’agent que l’on place au-dessus de
la morale de l’acte. – On s’attachera à décrire la forme linguistique des occurrences
de l’accusation de “procès d’intention”, on cherchera à mettre au jour la dynamique
argumentative dans laquelle elle s’inscrit, ainsi que les réactions auxquelles elle donne lieu. – Ce travail vise à prolonger l’entreprise de description de la critique ordinaire
de l’argumentation que nous avons initiée depuis une dizaine d’années